28 mai 2006

La fantaisie continue!

Fantaisiste cette idée du NAIRU donc ? Il est vrai que le commun des mortels, c’est-à-dire le non initié aux arcanes de la langue économystique, a certainement un peu de mal à comprendre comment une politique économique pourrait délibérément « réguler » le taux de chômage à un niveau suffisant pour que d’autres objectifs considérés (mais non clairement avoués) comme « supérieurs » - et notamment l’inflation - soient atteints. Pourtant il suffit souvent de lire et de décrypter ce que ces économistes "fantaisistes" disent et recommandent au plus haut niveau.

Un exemple récent parmi tant d’autres va nous servir de fondement pour une petite analyse de texte.
La première dépêche AFP (du 23 MAI 2006) que je vous incite à lire est consultable ici, sur ce site bien connu des boursicoteurs :

http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_taux.phtml?&news=3455926

Les conseilleurs sont bien entendu les économistes de l’OCDE, et les préconisations tournent autour de la « meilleure » politique à adopter dans les prochains mois en matière de politique monétaire. Il est bon de rappeler que en théorie, cette politique monétaire est supposée être menée de manière totalement « indépendante » par la Banque Centrale Européenne. On peut donc se demander en quoi des recommandations de l’OCDE sont utiles à cette institution supposée au dessus de toutes les influences… Mais ceci est une autre histoire.

Première chose intéressante, l’ensemble du communiqué laisse planer une crainte: « l’inflation » pourrait augmenter (et ce malgré l’escroquerie véritable que constitue l’utilisation d’indices aberrants, voir mon site
http://linflation.free.fr). En conséquence de quoi, il conviendrait de "resserrer" la politique monétaire, en remontant les taux d’intérêts et donc en restreignant la création monétaire, ce qui est justement la prérogative exorbitante que nous avons confié à la BCE en disant oui à Maastricht (et que l’on aurait encore réaffirmé en disant oui au réferendum sur la Constitution Européenne). En rendant l’argent plus cher, on freine l’économie, ce qui implique deux conséquences : atténuation des « pressions inflationnistes» et… hausse du chômage. Mais il faut lire entre les lignes et comprendre le langage codé des économistes pour le saisir… Lisons.

Pour l'OCDE, deux facteurs justifient un resserrement monétaire de la Banque centrale européenne: les "presssions persistantes des prix pétroliers" et les "signes de plus en plus nombreux d'un raffermissement de la reprise".

En clair la « reprise se raffermit », il est donc urgent de l’amollir! Après cela, je vous recommande d’écouter d’une oreille avertie et d’un neurone alerte les beaux discours de nos politiques et experts de tous poils qui n’ont de cesse d’expliquer que c’est le retour de la croissance qui va faire baisser le chômage !

La phrase suivante est sans doute la plus alambiquée mais la plus éclairante pour notre marotte commune, le NAIRU.

Cependant, l'OCDE souligne que "le rythme effectif de ce resserrement dépendra de la nette mise en évidence de la réduction de ressources non utilisées dans l'économie".

Relisez là, et la lumière sera. Car que sont les ressources non utilisées dans l’économie d’après vous ? La théorie économique dominante la plus basique nous explique que globalement il y a deux ingrédients pour créer de la « richesse économique» : du Capital (des machines, des usines, des investissements, bref des capacités de production) et du Travail. Or, sur ce dernier point, l’idée même du NAIRU est qu’une partie des ressources en main d’œuvre ne doit pas être utilisée afin de limiter les pressions à la hausse sur les salaires. C’est bien pour cela que le NAIRU est utilisé dans les équations d’estimation de la « croissance potentielle » : la « bonne croissance » est celle qui approche la croissance potentielle, c’est-à-dire celle qui est obtenue « en en gardant sous le pied » en quelque sorte, donc en excluant une part de la main d’œuvre supérieure au NAIRU. Car la « bonne croissance » est celle qui est non inflationniste… CQFD.

Donc la phrase ci-dessus devient limpide : le rythme du resserrement monétaire de la banque centrale sera d’autant plus important que les ressources non utilisées dans l’économie (et notamment le « stock » de chômeurs !) tendra à diminuer sous une limite jugée dangereuse (par les marchés financiers ?) : celle estimée par le NAIRU… Et au cas où ce ne serait pas assez clairement rentré dans l’esprit du lecteur, le communiqué le reformule à nouveau quelques lignes plus loin :

La "suppression de l'action de stimulation monétaire" doit donc "dépendre de la nette mise en évidence d'une réduction durable du volant de ressources non utilisées".

Claro ?

D’ailleurs la suite du communiqué appuie ce raisonnement : chiffres à l’appui, la menace se précise…

S'agissant de l'inflation, l'OCDE prévoit un taux de 1,6% cette année, après 1,7% en 2005, puis 2,0% en 2007. En matière de chômage, l'OCDE table sur un recul du taux, de 8,6% en 2005 à 8,2% cette année, puis 7,9% en 2007.

Bien sûr, la mise en rapport des deux séries de prévisions inflation/chômage dans deux phrases qui se suivent doit vous rappeler quelque chose, non ?

Cela peut paraître étrange encore une fois au néophyte, mais oui l’économie ça se pilote aussi par le haut ! Un peu comme une voiture en fait. Lisez cet autre communiqué de l’OCDE, publié le même jour mais concernant l’économie américaine, et appréciez le vocable employé :

http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_taux.phtml?&news=3456053

Entre les coups d’accélérateurs et les coups de frein, les salariés-chômeurs potentiels ont intérêt à bien attacher leur ceinture !

Certains trouveront bien sûr encore à redire à ces argumentaires. Comme par l’exemple en avançant (à court de contre arguments ?) que tout cela, ce sont des discours « théoriques » et que les « choses réelles sont bien plus compliquées ». Ce à quoi je répondrai qu’il faudra alors quand même un jour virer tous ces gens (2000 à l’OCDE!) qui phosphorent de manière totalement « fantaisiste » pour pondre des théories et des recommandations qui seraient inutiles et d’ailleurs paraît-il inutilisées…

Car comme je l’écrivais il y a quelques mois, on peut raisonnablement se demander si le nombre de chômeurs et de pauvres sur cette planète ne serait pas, par pur hasard, directement proportionnel au nombre d’experts économistes qui travaillent parait-il à la maximisation de notre bonheur !

Guillaume de Baskerville

Visitez aussi mes autres sites:
http://lenairu.free.fr

http://linflation.free.fr




Comments:
A chaque fois que je vous lis, je comprends mieux pourquoi on nous prend pour des cons!

Et pourquoi, par exemple, Mme Royal et M Sarkozy se livrent des duels acharnés sur la délinquance et jamais sur le chômage (ils connaissent trop bien le nairu, ces gens-là!)

Tiens, une question d'"économiste", qui est un peu dans l'esprit nairu: on sait que tout le cannabis consommé en France vient du Maroc. De plus, le trafic de drogue contribue à augmenter la criminalité. Donc, pourquoi est-ce qu'on ne fait rien pour résoudre le problème? Est-ce qu'il n'y aurait pas là à l'oeuvre un phénomène de type nairu? C'est-à-dire un taux de criminalité en dessous duquel il ne faut surtout pas descendre, sous peine d'agir négativement sur d'autres facteur?

Bravo pour vos recherches, continuez!
 
Merci Eric,

il est vrai que de nombreux "pseudos débats" occupent le terrain (sans parler des NJR, les "Nouveaux Jeux Romains" (télé-"réalité", coupe du monde foot, faux débats télévisés entre "spécialistes", éditorialistes à 2 balles et individus ayant des journaux ou des bouquins à vendre -une spécialité de LCI et I-télé par exemple-,etc.).

Je reprends ici une phrase de Noam Chomsky qui résume bien la chose:

"La façon la plus intelligente de maintenir la passivité des gens, c’est de limiter strictement l’éventail des opinions acceptables, mais en permettant un débat vif à l’intérieur de cet éventail et même d’encourager des opinions plus critiques et dissidentes. Cela donne aux gens l’impression d’être libres de leurs pensées, alors qu’en fait, à tout instant, les présuppositions du système sont renforcées par les limites posées au débat".

Je ne suis pas sûr que tous les politiques soient complétement conscients de ces concepts. Certains sont loins de capter quelquechose au verbiage économique, ne l'oubliez pas, c'est d'ailleurs ce qui donne tout ce pouvoir aux "experts" économistes et économystiques actuels: l'OCDE et les institutions de ce type donnent le la et fournissent les saints textes que les élites bien pensantes (mais souvent incultes) devront répéter, avec l'aide des journalistes et des médias, pour produire la "pédagogie du peuple"...

J'ai récemment présenté mes conclusions sur le NAIRU lors d'une réunion publique à laquelle participait une élue UDF (candidate à la députation) qui fut très intriguée par ce concept: elle n'en avait jamais entendu parler en tant que tel mais m'a spontanément avoué qu'elle avait souvent entendu son père (de droite également!) dire qu'il fallait un taux de chômage minimum suffisament élévé pour que le système fonctionne!!!

Vous voyez, je ne systématise pas pour ma part cette théorie du complot (je parle plus d'intérêts bien compris et croisés,et de "synarchie"). Il y a avec une telle cocnception simpliste du complot un quelquechose qui me rappellerait trop l'approche populiste du FN ("tous pourris") qui ne me semble pas être la réalité. Ma position personnelle est mieux exprimée par la déclaration CYNIQUE mais LUCIDE ci-dessous:

"Le monde se divise en trois catégories de gens: un très petit nombre qui fait se produire les événements, un groupe un peu plus important qui veille à leur exécution et les regarde s'accomplir, et enfin une vaste majorité qui ne sait jamais ce qui s'est produit en réalité."
Nicholas Murray Butler
Membre du CFR (Council on Foreign Relations. Le CFR est une organisation américaine qui rassemble des leaders politiques ou économiques de haut niveau (comme Georges Bush père, Henry Kissinger, ou David Rockefeller), proche de la Trilatérale. Et à ce niveau là de pouvoir (non médiatisé), on peut parler de quelquechose qui ressemble à un complot d'intérêts bien compris...

Mon souhait est juste d'attirer l'attention sur ces concepts méconnus du public et de pas mal d'élus pour éviter que les experts concentrent le pouvoir. Il s'agit de révéler l'hypocrisie de certains discours acceptés comme tels (et ceux qui les suivent béatement sont autant responsables que ceux qui les prononcent...).

Et ce parce que "la propagande cesse d’être efficace à l’instant où sa présence devient visible", comme le disait lui-même un certain... Joseph Goebbels, responsable de la propagande nazie.

Guillaume de Baskerville
 
La classification de Nicholas Murray Butler est intéressante. D'une certaine façon, il y a ceux qui "savent" ce qu'ils font et les autres. Entre les deux, une aristocratie veille au bon déroulement de la tragicomédie, sur fond de guerre plus ou moins religieuse, si nécessaire.

Mais, à observer, par exemple, comment se déroule la guerre d'Irak, il semble que la "marge d'erreur", pour "ceux qui savent", est quelquefois très grande. On tatonne. Mais, bon an mal an, on s'y retrouve. Sauf, bien sûr, les victimes...
Sans la guerre d'Irak, nous aurions peut-être eu droit à d'autres conflits que "ceux qui savent" n'auraient pas aussi bien maîtrisé.
Dans le domaine économique c'est pareil (mais une guerre, au final, a toujours des buts économiques; même et surtout les guerres dites religieuses): "ceux qui savent" pédalent souvent dans la choucroute. Ils disposent simplement de beaucoup plus d'information que nous. Mais, au final, ils en sont réduits à tatonner. Par exemple, prenons les 35 heures. Un arithméticien borné (Martine Aubry n'est pas arithméticienne, que je sâche, mais elle doit avoir des rudiments tout de même) aurait pu se dire: si on fait travailler les gens 35 h au lieu de 39, ça fera du boulot pour les autres. Facile! Suffisait d'y penser. Sauf que personne ne pouvait prévoir la fronde qui allait suivre, rendant les 35 h impopulaire même auprès des ouvriers...
C'est donc ce qui rend la distinction entre ceux qui savent et ceux qui suivent un peu fluctuante...


J'aimerais ajouter que la disction Nicholas Murray Butler m'en rappelle une autre, proposée par Pascal. Celle entre les habiles et les demi habiles.
Le peuple admet le dogme religieux (ou économique) sans broncher et n'y voit pas malice. Les demi habiles disent: "ce n'est qu'un dogme" et ils en démontrent la fausseté. Les habiles, eux, savent le dogme faux mais n'en disent rien.
Il y a bien des risque, à disserter du nairu, de passer pour un demi habile. C'est un risque que vous prenez. C'est le risque de l'aventure de la connaissance.
 
A propos de la phrase de Nicholas Murray, pourrait-on faire un parallèle avec La conférence de Bilderberg ?

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bilderberg

Bien à vous,
Fred
 
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