22 décembre 2005

"Le système actuel d'assurance chômage n'est pas profilé pour 10% de chômeurs"

Ceci est une déclaration de Jacques Voisin (président de la CFTC) lors d'une interview par Pierre-Luc Séguillon entendue aujourd'hui sur LCI. Elle est une illustration parfaite de la rhétorique actuelle employée pour justifier les réformes soi-disant "indispensables pour sauver l'indemnisation chômage d'un naufrage", comme on l'entend régulièrement à mesure que certains avancent ces derniers temps une nouvelle Peur récurrente à fort pouvoir docilisant, celle des gros chiffres de déficits. Mais le "naufrage" est aussi largement martelé à nos oreilles qu'il a été consciencieusement préparé...
La grille de lecture de la réalité du chômage procurée par le NAIRU transforme bien sûr ce genre de propos en hypocrisie manifeste difficilement supportable à entendre. Comment dire qu'un système n'est pas profilé pour 10% de chômeurs ALORS QUE les NAIRUs employés pour la France depuis près de 20 ans ont toujours été supérieurs à 10%? Comment expliquer que d'un côté, 10% de chômeurs voire plus ont été considérés comme le prix à payer (et plus même, comme on le sait, comme un instrument) pour combattre l'inflation et surtout mettre au pas le monde salarial, mais que d'un autre ces mêmes 10% seraient désormais présentés comme un chiffre "bien au-dessus des moyens" (pour reprendre une expression très en vogue) d'un système de couverture qui n'a fait qu'amortir le choc social et humain de ces choix monstrueux en achetant la paix sociale? Comment expliquer également selon ces déclarations actuelles qu'au plus haut historique des chiffres (officiels) du chômage, (près de 13% vers 1997), le système de l'époque dégageait des EXCEDENTS considérables de l'ordre de 7 milliards de francs? Si je ne me trompe, depuis lors, les chômeurs indemnisés ont diminué en nombre, leur durée d'indemnisation a considérablement baissé, la richesse collective a continué de croître (par la Sainte Croissance), sans parler des bénéfices des multinationales et des profits financiers qui ont explosé...
Alors, comment ne pas considérer qu'une telle déclaration, et toutes celles qui sont de la même veine, ne sont qu'une gigantesque farce dont les dindons sont tout autant les chômeurs actuels (dont aucune représentation n'est autorisée à participer aux négociations UNEDIC, il faut le rappeler) que les salariés qui sont la cible de la Peur sensée les dompter? Plus le système d'indemnisation sera défavorable au chômeur, plus le salarié sera tenu de rentrer la tête dans les épaules et de faire le dos rond face aux pressions qu'il subira. Ses non choix futurs sont indissociablement liés au sort du chômeur d'aujourd'hui.
La philosophie sous-jacente du NAIRU ne dit rien d'autre que cela. Mais au moins, elle le dit de la manière la plus claire qui soit...

15 décembre 2005

Le chantage à l'emploi par les délocalisations est la déclinaison micro-économique du NAIRU au niveau macro-économique...

Je rebondis sur l'actualité pour illustrer ce point. Partout dans les médias aujourd'hui, on fait écho à cette information: Bosch France annonce ce mercredi que la société envisage de négocier un retour aux 40 heures par semaine afin de "maintenir l'emploi industriel" des 10.000 salariés français du groupe. Nouvel épisode du film, puisqu'en juillet 2004, les salariés de l'usine Bosch de Vénissieux avaient validé un accord sur le passage à 36 heures payées 35 sous la menace d'une délocalisation. Une brèche étant ouverte, pourquoi ne pas l'agrandir?
Imaginez une telle annonce dans un contexte de "plein emploi" ! Inimaginable. Le NAIRU crée bien les conditions opérationnelles pour que de telles mesures soient désormais envisagées. La mobilité des capitaux et les possibilités offertes aux grands groupes pour délocaliser renforcent évidemment le cocktail.
Le cas Bosch, comme celui de Hewlett Packard et d'autres moins opportunément médiatisés, illustre une vérité que les salariés, AINSI QUE LES SYNDICATS (qui historiquement, et à l'exception de quelques timides initiatives, comme la création assez récente de la CGT chômeurs, ne se sont jamais engagés dans une représentation des chômeurs) feraient bien de méditer: la problématique du chômage les concerne tout autant, sinon plus, que les chômeurs. Faire le gros dos et se replier dans une attitude individualiste de "Lutte des places" (pour reprendre le titre du livre de Vincent de Gaulejac) n'est sans doute pas la meilleure stratégie. L'attitude de déni consistant à donner crédit aux thèses manipulatrices actuelles selon lesquelles les chômeurs seraient des profiteurs fainéants (ce que "Moi, salarié en poste, bien sûr, je ne suis pas; car Moi, je me bouge, Moi ça ne peut pas m'arriver, je ne fais pas partie de cette catégorie là... je vais bien tout va bien... répète après moi") consiste à se tirer une balle dans le pied, aujourd'hui, demain ou après-demain. Car la menace du chômage amène le chantage à l'emploi qui lui n'a qu'un objectif: viser les intérêts du salariés.
Le chômage et la précarité, ainsi que la Peur fort médiatisée qu'ils inspirent, sont un extraordinaire instrument de pression pour obtenir une docilité contrainte du salarié. Ne pas le voir est un aveuglement regrettable. Le comprendre au travers du NAIRU est un premier pas pour recouvrer la vue...
MISE A JOUR DU 28 DECEMBRE:
Les exemples s'accumulent, mélangeant peur du chômage et menaces de délocalisation (le cocktail du moment). Le dernier en date, habilement médiatisé de nouveau (entre autres sur LCI: encore une fois, pour quel but peut-on se demander, si ce n'est brandir l'exemple comme une menace? A bon entendeur?): l'usine Fenwick de Cenon sur Vienne, où ce sont désormais 17 jours de RTT qui seront repris par la direction sous menace de délocalisation. Lors du reportage, on y voyait des délégués CGT expliquant qu'une centaine de salariés (sur 550) avaient fait pression pour que le syndicat (majoritaire) signe l'accord proposé par la direction, et que certains syndicalistes avaient même reçu... des menaces de mort, manifestement de certains salariés ayant peur de perdre leur emploi!
Encore une fois pourrait-on envisager une telle situation (des salariés menaçant leurs représentants) hors d'une situation de chômage de masse ou celui-ci finit par être considéré comme le "mal absolu", "l'enfer" à éviter par tous les moyens, y compris ceux là?

07 décembre 2005

Le NAIRU est au coeur des politiques économiques et monétaires...

Lorsque j’explique le NAIRU à des personnes autour de moi, j’observe en général deux types de réactions. Il y a ceux qui disent : « C’est pas possible, je n’y crois pas, tu délires, ça ne peut pas exister ». En général, ces personnes là sont les plus faciles à convaincre. Car bien souvent, elles reviennent me dire, un peu plus tard, et après avoir fait quelques recherches sur le Web : « T’avais raison, j’ai vérifié. C’est fou, on en a jamais entendu parler de ce truc là ». Pour tout dire, c’est exactement la réaction qui fut la mienne il y a quatre ans, lorsque j’ai croisé pour la première fois, par hasard, le chemin de la fameuse bête. Le NAIRU est tellement éloigné de nos représentations courantes (construites culturellement bien sûr) qu’il est même difficile de le concevoir. Alors évidemmment, ces réactions là, je les comprends bien.

Et puis il y a ceux qui me répondent : « Le chômage voulu et maintenu délibérément car utile pour faire pression ? Ben oui, c’est évident ! » Je dois dire que ces réponses là sont celles qui m’ont le plus décontenancé au départ. Très vite, cependant, j’ai constaté qu’il s’agissait souvent là d’une opinion, voire d’une intuition, mais qu’en général, quand j’essayais de voir ce que la personne en question avait à dire sur le sujet, l’argumentaire était souvent peu étayé. En gros, le fait que malgré tous les discours (forts nombreux depuis trente ans) sur la supposée lutte contre le chômage rien ne s’améliore (bien au contraire), cette situation a quand même contribué à développer (à juste titre d’ailleurs) des suspicions chez une partie de nos concitoyens. D’autre part, il faut avouer que le chantage à l’emploi est parfois tellement patent que beaucoup en sont venus à bien percevoir que le chômage et la précarité n’ont pas que des inconvénients pour tous…

Le problème est que pour aller plus loin, les argumentaires et les preuves concrètes manquent. Très vite, la discussion peut tourner à l’échange du café du commerce. Non que celui-ci soit dénué d’intérêt. Mais il s’agit alors d’un débat d’opinions qui se dilue très vite dans les généralités. En revanche, convaincre d’autres personnes dans ce cas est quasiment impossible, en l’absence d’éléments patents.

Mais…

… le NAIRU, ce sont les institutions économiques et politiques à tendance libérale qui en parlent le mieux, alors il suffit de guider les pas du novice dans la jungle économystique souvent impénétrable dans laquelle le NAIRU, cet animal étrange, prolifère, à l’abri des regards indiscret !

Un des points que l’on me demande souvent d’éclaircir est le suivant : comment donc le NAIRU peut-il avoir un impact réel sur l’économie et finalement sur la vie quotidienne et la destinée de tel salarié ou de tel chômeur ? Comment le local, voire le privé, peuvent-ils être à ce point influencés par le global ? Là encore, cette difficulté de compréhension m’est familière, pour l’avoir ressentie moi-même (et continuer parfois à m’y confronter , je l’avoue). Face au NAIRU et à mes « élucubrations », j’ai parfois entendu ce genre d’incompréhensions : « vous croyez vraiment que l’entrepreneur du coin a les moyens de comploter pour maintenir le chômage à un niveau élevé ? ». Ma réponse est évidente : bien sûr que non, mais ce n’est pas à ce niveau et de cette manière que tout cela se joue.

La société moderne est organisée selon des choix qui relèvent de l’Economie de Marché, nouveau petit nom du Capitalisme dont le nom ne faisait plus très sexy. En disant Economie de Marché, on fait mine de remplacer sur le piédestal le capitaliste (celui qui détient les capitaux) par le consommateur proclamé Roi (mais le Roi n’est-il pas mort ?). Et en y ajoutant tout un tas d’adjectifs à connotation sympathique, on « euphémise » encore plus : l’Economie de Marché ou la Croissance deviennent ainsi « sociales » dans la bouche de ceux que l’on entend tous les jours dans les médias, ou dans des textes aussi importants que le projet de Constitution européenne. Des fois qu’on ait pu un instant en douter... Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement dit-on, à moins que ce ne soit l’inverse : ce qui s’énonce clairement et lourdement finit-il par se concevoir un peu mieux?

Toujours est-il que si le Capitalisme, puisqu’il faut appeler un chat un chat, est un principe général d’organisation économique de la société, comme l’ont été ou peuvent encore l’être certaines religions, son « Eglise » elle, c’est-à-dire son institution pratique de mise en œuvre (prise globalement), exerce des choix qui sont bien plus discriminants. Certains sont plus capitalistes que d’autres, et en outre, certains de ces capitalistes sont plus favorisés par les choix politiques de l’église économique dominante actuelle que d’autres. Entre le propriétaire du bar du coin et le fond de pension qui intervient sur les marchés financiers mondiaux, les deux sont quelque part un peu « patrons », mais les deux n’ont sans doute pas les mêmes aptitudes à influencer les règles du jeu de l’église dominante. La distinction patrons/salariés n’est plus opérante pour discriminer la société. Certains managers salariés dirigeant les grands groupes sont dans des sphères d’influence infiniment plus puissantes que bon nombre de « patrons » qui rament dans une économie calibrée autant à leur intention qu’elle ne l’est à l’égard des chômeurs ou des précaires.
Tous les discours sur les vertus de la « petite entreprise locale » ne sont que poudre aux yeux pour faire diversion et accessoirement justifier par une démagogie de circonstance de nouvelles « réformes » plus radicales encore. Dont les principaux bénéficiaires ne seront ni les TPE, ni les indépendants, ni les salariés en général, ni les chômeurs, ni les précaires, mais une caste hyper concentrée d’intérêts formant réseau et calibrant l’économie moderne, en en imposant les règles du jeu en fonction des ses attentes. Les grands banquiers (y compris les banquiers centraux supposés indépendants), les multinationales, les grandes compagnies d’assurances, la plupart des grands médias privés, font indiscutablement partie de ces réseaux… La liste n’est pas exhaustive. Il faudrait aussi mentionner la plupart des économistes orthodoxes actuels, ainsi que moult experts causant dans le poste, dont la principale fonction est d’écrire les sermons destinés au bon peuple et de labelliser comme Sainte (mais on dit plutôt aujourd’hui scientifique et rationnelle, donc naturelle) la Parole de ces nouveaux Evangiles.

Le prochain article rentrera un peu plus en détail dans les rouages de la macroéconomie et des politiques monétaires actuelles. Bien que nous apparaissant fort lointaines et il faut le dire assez opaques à la compréhension, on y verra comment et en quoi celles-ci peuvent finir par influencer, souvent à notre insu, notre quotidien. Or, manifestement, le NAIRU y figure en bonne place…

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