20 octobre 2005

Et si aujourd'hui, on décidait que c'était la Saint NAIRU?

En ce troisième jeudi du mois d'Octobre, et pour la troisième année consécutive, ce n'est en fait pas la Saint NAIRU, mais la "Saint Valentin des Entreprises". Si si, je vous assure... Enfin du moins c'est ce que voudrait nous inciter à considérer l'inénarrable ultralibérale Sophie de Menthon, et son mouvement patronal au doux nom fleurant bon le marketing, ETHIC, (Entreprises de Taille Humaine, Indépendantes et de Croissance, sic!), qui a lancé cette campagne assez surréaliste visant à faire "aimer son entreprise" et surtout à le montrer, au travers de la Fête de l'Entreprise. Il n'y a pas d'amour mais que des preuves d'amour dit-on... Alors, tous ensemble, montez sur les tables, chantez, dansez et faites votre déclaration d'amour enflammée à votre belle Dulcinée : "Moi, j'aime ma boîte". Un site Internet peut même témoigner de cet Amour: http://www.jaimemaboite.com

Cette initiative est en réalité la version francisée du "Boss Day" américain, la "Fête des Patrons" ayant été remplacée au passage par une traduction plus "neutre", la "Fête de l'Entreprise", laissant supposer que ce serait aussi la fête de tous les salariés et non seulement celle des entrepreneurs, qui on le sait sont insuffisamment reconnus pour leur contribution désintéressée, quasi-humanitaire dirais-je, à la Bataille pour l'Emploi...
La démarche ne mériterait pas qu'on la commente ici s'il n'apparaissait que cette action s'appuie sur des réseaux d'influence importants et se trouvait être reprise à son compte par des organismes dont la vocation première n'est sans doute pas là: l'ANPE par exemple...

On apprendra ainsi avec intérêt que cette campagne est depluis le début placée sous le "haut patronage" (nom fort adapté du reste) d'un des lieux de pêche au gros NAIRU que vous connaissez bien désormais, j'ai nommé le Sénat. Vous pourrez vous en convaincre par exemple en lisant l'article ci-dessous, signé Sophie de Menthon herself, dont la prose éclairera mieux que de longs discours le but clairement affiché:

http://www.larevueparlementaire.fr/pages/RP880/RP880_influence.htm

Eh oui, compte tenu du fait qu'il est malheureusement "politiquement correct de s'apitoyer systématiquement et à chaque occasion sur le sort des salariés", que "la pédagogie qui est le devoir des élites a été sacrifiée depuis trop longtemps au profit d'un discours édulcoré uniquement axé sur l'objectif de répondre aux émotions populaires" (!), ce qui n'est guère surprenant puisque " l'ignorance économique règne sur les bancs de nos élus" (bien qu'ils manipulassent le NAIRU à la perfection semble t-il...), il n'est pas surprenant que la majorité de nos concitoyens aient répondu "Non" le 29 Mai dernier, car cette "réaction populaire négative" n'est-elle pas "finalement le résultat du fossé qui existe entre les élus et l'entreprise" ? Brillante démonstration, n'est-il pas?

Alors Sophie, dont le mari, Pierre-Henri, fait tout ce qu'il peut pour répandre la bonne parole comme rédacteur en chef de l'hebdomadaire Challenges ("face à des Français qui s’intéressent peu à l’économie, il faut donc créer le besoin en convaincant les gens de la nécessité d’acheter un "news éco" toutes les semaines" (sans doute pour y entendre parler du NAIRU?)

http://www.snptv.org/decouverte/read_vutv.php?id_vutv=554),

a décidé de prendre le taureau par les cornes et de faire aimer l'entreprise à ses salariés. Laurence Parisot voulant elle "faire aimer l'économie aux français". Quant à moi, Guillaume de Baskerville, mon ambition est plus modeste: faire aimer cet inconnu, le NAIRU...

Mais ce qui est plus surprenant, c'est de voir que l'ANPE est elle aussi partenaire de cette opération un peu particulière... Pour preuve les extraits qui suivent:

"- L’ANPE participe-t-elle à cette opération ?

- Sophie de Menthon: Oui, et je lui tire un grand coup de chapeau. Quand j’ai appelé pour parler de mon idée, la première fois, on m’a dit : « Mais vous êtes folle, comment osez vous dire « J’aime ma boîte » à des gens qui n’ont pas de boulot ! » Finalement, j’ai eu une femme remarquable à la DRH de l’ANPE, qui a compris tout de suite qu’on pouvait impliquer les demandeurs d’emploi. Ils ont souvent beaucoup aimé l’entreprise qu’ils ont quittée, et ils ont du mal à aimer la prochaine. Il existe un lien affectif très fort entre les demandeurs d’emploi et les entreprises, car ils ont besoin d’elles. L’ANPE a donc été partenaire dès la première fête de l’entreprise, l’année dernière. Cela a notamment permis au Medef Ile-de-France de se rendre compte que l’ANPE n’était pas hostile aux entreprises, et ainsi de faire appel à elle pour recruter." http://www.anpe.fr/actualites/interview/archives_2004/est_fete_3122.html

Ca c'était pour 2004. En 2005, ça donne cela:

"On constate que le bien-être et l’épanouissement des salariés sont des facteurs de plus en plus importants pour l’efficacité de l’entreprise, dans un contexte économique particulièrement difficile, dans lequel il faut faire preuve de toujours plus de productivité et de performance mais aussi d’ingéniosité et d’imagination. La Fête des entreprises est donc un jour où l’on souligne exclusivement les bons côtés de la vie dans l’entreprise. 74% des Français déclarent en effet aimer leur entreprise et 76% la jugent conviviale [1]. L’entreprise c’est, souvent, bien plus que le travail... C’est une seconde vie."
http://www.anpe.fr/actualites/agenda/ma_boite_6003.html

Alors bien sûr, le rapprochement entre le NAIRU et cette incitation à "aimer sa boîte", ou du moins à le montrer et "à faire comme si", sont deux faces d'une même stratégie. Une stratégie éminemment perverse et destructrice en réalité, car elle place les salariés dans des formes "d'injonctions paradoxales" ("double bind") extrêmement pénibles à vivre au quotidien: la trouille mais avec le sourire, pour le dire vite, ou encore le non-choix, mais avec enthousiasme...

Quant aux chômeurs, façe à ces démonstrations flamboyantes du "bonheur de la vie en entreprise", il ne peuvent que se sentir malheureux face à tant d'allégresse autour d'eux! Ce que résumait un éditorial grandiose du magazine ultra-libéral "Enjeux-Les Echos" d'Avril 2005, intitulé "Adieu Paresse", en réponse au succès venimeux du livre de Corinne Maier "Bonjour Paresse" bien sûr. Pour introduire le dossier spécial de 70 pages "Tout sur le travail en France" (tout sauf le NAIRU s'entend), l'inquiétant François Langlet n'hésitait pas à écrire:

"Paresseux les français? Point n'est besoin de battre les buissons (?) pour se rendre compte que la plupart des gens aiment travailler. Au point que lorsqu'ils sont privés d'activité par le chômage ou la maladie, ils S'ETIOLENT." Et de poursuivre: "Cet appétit pour le travail est confirmé par les statistiques internationales, qui font état d'une très bonne productivité de la France, au moins dans le secteur privé".

Mais il est vrai qu'un affamé a toujours un peu d'appétit...

Eh oui, en 1786 Joseph Townsend, révérend méthodiste et économiste anglais de son état, écrivait déjà :

« La faim saura dompter l’animal le plus féroce, elle est capable d’enseigner l’honnêteté et la civilité, l’obéissance et la soumission, à l’individu le plus grossier, le plus têtu, le plus pervers… Seule la faim est capable d’aiguillonner [les pauvres] et d’inciter au travail. »

Affamer pour mieux servir la soupe... et réclamer que l'on baise les pieds de ceux qui la procurent? La soupe au NAIRU pourrait bien être quelque peu frelatée...


Comments:
Ben voilà, mais c'est bien sûr...
Avec la fête des entreprises, c'est le paradis...

...fiscal!

Le hasard du spam faisant bien les choses...

Guillaume de Baskerville
 
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