30 juin 2006

Aujourd'hui, c'est théâtre!

Eh oui, journée chargée aujourd'hui. Sur la scène, les pantins s'agitent devant la foule en liesse. Que voulez-vous, ce doit être un effet Coupe du Monde. La France s'est qualifiée pour le tour suivant et la chômage baisse de "manière historique" selon Borloo. Oui oui. Et en coulisses?

SUR LA SCENE...

Acte I: Jeudi, conférence de presse de notre premier ministre. A la question "quand considèrerez vous que la France sortira du chômage de masse?" posée par un journaliste (question fort pertinente il est vrai), Dominique de Villepin fournit une réponse fort intéressante elle aussi:


Villepin: la France sera sortie du chômage de masse quand le taux sera à 7%
Dominique de Villepin a estimé que la France sera sortie du chômage de masse quand le taux de demandeurs d'emplois se situera "autour de 7%" de la population active, mercredi lors de sa conférence de presse mensuelle.
Avec "un taux de chômage qui se situe autour de 7%, nous sommes assez proches d'une société qui crée de l'emploi et qui peut permettre, très rapidement compte-tenu de la rotation des emplois, de répondre aux exigences de chacun", a estimé le Premier ministre, en réponse à une question sur le niveau qui marquerait la fin du chômage de masse.
"Nous serons sortis du chômage de masse et du chômage de longue durée" lorsque le taux de chômage atteindra "5%" quand la conjoncture économique est bonne et "8%" quand elle est mauvaise, a complété le ministre de l'Emploi, Jean-Louis Borloo.


http://www.boursorama.com/international/detail_actu_intern.phtml?&news=3524856

En gros, notre premier ministre considère que 7% de chômage constitue la limite au delà de laquelle on pourrait parler de chômage de masse! En dessous ce serait donc du chômage... normal? Jean-Louis Borloo quant à lui nuance et fait varier la limite entre 5 et 8% selon la conjoncture. Vous avouerez que ça reste encore élevé! Quand on pense que lorsque j'étais jeune voire gamin, j'entendais que le chômage incompressible c'était à peu près celui que connaissait le Japon à l'époque, soit 2 ou 3 %...

Mais face à ces élans médiatiques, je ne peux pas ne pas vous rappeler quelques petits points qu'il ne faudrait surtout pas oublier. Surtout pas. Rappelons que ces statistiques sur le chômage sont incomplètes et bidouillées depuis des années à un point tel qu'une reconstitution sérieuse des données est nécessaire pour evaluer correctement ce qu'on entend par chômage de masse. Ca tombe bien, ce boulot là il a été fait et c'est disponible ici:

http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm
et plus précisément sur cette page:
http://travail-chomage.site.voila.fr/chomage/chom_reel2005.htm

Pour 2,4 millions de chômeurs apparaissant dans les statistiques officielles médiatisées, on arrive à 5,8 millions chômeurs équivalent temps plein! Soit 20% de la population active! Car bien sûr, c'est facile de créer des "emplois", mais c'est quoi un emploi? Est-ce que travailler 20h par semaine au smic permet de vivre décemment? Actuellement, ceux qui travaillent à temps complet travaillent en moyenne 39h par semaine (pour une durée légale de 35 heures...), donc une personne qui travaille 23h01/semaine comme la moyenne des 4,3 millions de personnes travaillant à temps partiel (pour la plupart subi) est en quelque sort une "moitié" de chômeur (en arrondissant). Creusez les chiffres et vous verrez, ces statistiques sont du théâtre de Grand Guignol.
Du coup, 7% de chômeurs en statistique bidouillée, ça fait nettement nettement plus en situations réelles vécues! D'autant plus que la tendance est à la prolifération des contrats bidons, aidés, super courts et payés au lance-pierre. Et le taux de précarité de masse, Monsieur de Villepin, vous le situez à quel niveau?

Acte II: ce vendredi, Jean-Louis Borloo exulte: les chiffres bidouillés du chômage ont baissé de 2,16% sur le dernier mois. Les disparitions (évaporations) pour non présence à une convocation de l'ANPE sont elles en hausse de 10%, les radiations administratives de 8%... Qu'importe si le malade meurt, son électro-cardiogramme dit qu'il est en pleine forme. Alors...

DERRIERE LA SCENE, EN COULISSES...

Là, c'est pour les initiés, ceux qui y pigent quelque chose en économie, en finance, en bourse. C'est pas pour le pékin moyen. C'est un peu morne à écouter, bien moins coloré que la Coupe du Monde du Peuple, c'est rempli de gens qui parlent de milliards dans leurs beaux costards-cravates gris ou noirs, bref c'est sur la chaine financière Bloomberg TV (qui appartient à Michael Bloomberg, riche homme d'affaires, maire de new York également pour la petite histoire).

Et aujourd'hui Vendredi 29 Juin 2006, pendant que la scène bruissait des clameurs de la victoire prochaine (je parle de la disparition du "chômage de masse" bien sûr!), j'ai entendu des chuchotements bien différents en coulisses:

1) la stratégiste en chef de la Société Générale (Valérie Riches Flores) nous a expliqué que le taux de chômage aux USA était tombé trop bas et que ceci, couplé à des hausses salariales qui tendaient à se relever depuis un an, devait naturellement "pousser la FED (la Banque Centrale américaine) à augmenter ses taux pour faire remonter le taux de chômage et ainsi limiter les tensions inflationistes" (oui ce fut dit comme cela, promis juré!). Je rappelle que le taux de chômage officiel est d'environ 4,7% aux US actuellement, mais attention comptabilisation "version US": la couverture chômage est très faible -incite donc certains à ne pas s'inscrire-, 2 millions de personnes sont sorties de la population active car en prison (!), et surtout le "moins de chômage" s'accompagne d'une pression sur les salariés par le biais de la population des "travailleurs pauvres" qui ne sont pas des chômeurs mais dont l'effet de contrôle social par pression sur les salaires est bien réel...

2) le responsable de Lazard Frères Gestion (société de gestion fiancière) pour sa part a ensuite parlé -texto- du NAIRU en expliquant qu'en Europe cette fois, "la BCE était inquiète sur les menaces d'inflation car le taux de chômage en Europe (au sens du BIT) était désormais assez en dessous du NAIRU, le taux de chômage en dessous duquel les menaces d'inflation se manisfestent"... Ceci étant à relier à mon article sur le décryptage des préconisations de l'OCDE (voir mon billet du 28 Mai 2006)

Encore une fois, il suffit d'écouter les bons médias (entre autres ceux de la sphère financière) pour se rendre compte des évidences invisibles pour le grand public! Et ces exemples sont loin d'être isolés, il y en a des tonnes... Alors fantaisiste le NAIRU qu'il disait ce bon Edwy Plenel?

Ah les coulisses, comme c'est déprimant. Allez, rideau, "the show must go on". C'est tellement mieux d'y croire... ou de faire semblant?

Guillaume de Baskerville

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14 juin 2006

La présidente du MEDEF s'inquiète et s'emporte!

Il est difficile de relater ici tous les éléments qui s'articulent autour du principe du NAIRU, qu'ils viennent le conforter ou encore qu'ils s'expliquent à sa lumière. J'en prends désormais quelques uns au fur et à mesure qu'ils se présentent dans l'actualité...

Ainsi, après les déclarations de l'OCDE (voir mon article ci-dessous), nous allons examiner ce que vient de dire la présidente du MEDEF, saisissant au bond l'occasion donnée par une annonce du gouvernement de la suppression pour 2007 de 15 000 postes de fonctionnaires ( un départ à la retraite sur cinq non remplacé).

"Au lendemain de l'annonce par le gouvernement de la suppression de 15.000 postes dans la Fonction publique en 2007, la présidente du MEDEF Laurence Parisot [...] s'est par ailleurs étonnée que l'on parle de la suppression de 15.000 postes dans la Fonction publique sans se féliciter de la création, selon elle, de 400.000 emplois dans le secteur privé grâce au contrat nouvelles embauches (CNE). Elle a également affirmé que 600.000 postes seront à pourvoir chaque année entre 2006 et 2015 dans le secteur privé, en raison des départs à la retraite des baby-boomers. [...] "Il s'agit bien de départs en retraite qui ne sont pas à nouveau pourvus. Il n'y a aucune suppression d'emplois pour quiconque", a souligné la présidente du MEDEF. "Remettons les choses à leur juste proportion", a-t-elle lancé. "Peut-être qu'il y a 15.000 postes qui seront supprimés du côté de la Fonction publique, mais je tiens à faire ici une annonce, nous dans le secteur privé, nous avons 600.000 postes à pourvoir chaque année à partir de cette année et jusqu'à l'année 2015". Elle a aussi mis en parallèle les suppressions de postes dans la Fonction publique et les emplois créés par la CNE. "On est entrain de parler ce matin de 15.000 suppressions de postes, et on ne se dit pas, c'est extraordinaire, on a créé par ailleurs 400.000 emplois", grâce au CNE. "Je trouve qu'il y a là quelque chose de tout à fait anormal".

Un des problèmes que le capitalisme privé voit dans le secteur public, surtout en période de contraction démographique (du moins de la population active), c'est la concurrence (jugée déloyale) que ce dernier lui fait pour siphonner de la main d'oeuvre, attirée par la sécurité (désormais toute relative) de l'emploi dans ce secteur. Les déclarations récentes de Laurence Parisot sont claires de ce point de vue: "petits petits petits, venez dans mon nid". Pas simple en effet quand on sait que 80% des jeunes aspirent désormais semble t-il à devenir fonctionnaires, ces timorés!
Bien sûr vous pourriez me dire: "c'est bizarre une telle déclaration, y'a plein de chômage et de sous emploi!" Sauf que connaissant le NAIRU, vous n'osez plus faire une remarque aussi naïve... Car avant tout il ne faut surtout pas relâcher la pression sur les salariés! Donc plus y'a de gens qui viendront frapper à la porte des entreprises privées (et notamment des multinationales), plus on pourra continuer à pratiquer ce que j'appelle "l'eugénisme salarial". De ce point de vue, le CNE permet de bien faire dans "l'amélioration de la race salariée": surtout sur le point si crucial de la docilité... Il est juste dommage qu'il ne soit pas (encore) généralisé, ce CNE.

Mais, allant dans le même sens, le nouveau "CDD vieux" (18 mois renouvelable une fois) va contribuer à ce même objectif: que plus de candidats en situation de précarité relative frappent à la porte des recruteurs (avec des vélléités salariales en soldes de 40% si possible), pour compenser la baisse démographique tout en maintenant un coussin d'aiguilles bien pointues sur la tête de la classe salariée... Un moment évoquée, la menace de supprimer la dispense de recherche d'emploi (DRE) pour les salariés de plus de 55 ou 57 ans et demi a été enterrée... pour l'instant! Il faut dire que ce faisant, ces 500 000 "DRE" seraient réapparus dans les chiffres officiels du chômage, dont il ont été sortis au fur et à mesure pour des raisons "cosmético-électorales, Juppé en 97 en ayant ainsi effacé par exemple 350 000 des stats officielles médiatisées (mais il ne fut pas le seul). Ce faisant, le taux de chômage "officiel" serait remonté à 12%, pas bien à un an d'une présidentielle!

D'ailleurs, là encore, Laurence a applaudi des deux mains et des deux pieds:

"La présidente du Medef, Laurence Parisot, a salué la mise en place du plan seniors."Nous approuvons totalement l'ensemble des mesures" mises en oeuvre et leur "philosophie", a-t-elle dit lors d'une conférence de presse."On a tout intérêt à favoriser le travail des seniors", a ajouté la présidente de l'organisation patronale. "Le travail est quelque chose qui se multiplie et non qui se divise", a-t-elle souligné, en faisant valoir qu'un senior qui reste dans la vie active n'empêche pas un jeune d'y entrer. "C'est même le contraire", a-t-elle insisté.

Ben tiens... Pendant 15 ans, les grosses entreprises ont juste pleuré sur les pieds des gouvernements successifs pour pouvoir mettre en pré-retraite super précoce des cohortes de seniors en justifiant que ce n'était pas des suppressions de poste, car elles allaient embaucher en échange des tas de jeunes! Ah ces "jeunes", qu'est-ce qu'on n'a pas pour eux depuis 20 ans, tout en les prenant un peu pour des andouilles quand même (j'en ai fait partie!). De là à expliquer un certain désamour de la nouvelle génération pour le privé, il n'y a qu'un pas...
Remarquez, Laurence, elle a de quoi être inquiète car en plus de voir les jeunes tenter de fuire le privé, v'la t'y pas que c'est les salariés français en général qui, et de manière totalement incompréhensible bien sûr, souhaitent arrêter de "s'éclater" et de "s'épanouir" par le travail après 50 ou 55 ans:

L'âge idéal de départ à la retraite: entre 56 et 60 ans, selon près de quatre Français sur dix.

Pour 38% des Français, l'âge idéal de départ à la retraite se situe entre 56 et 60 ans, selon un sondage CSA/France Europe Express/France Info rendu public mardi. Invités à répondre à la question "si le choix ne dépendait que de vous, à quel âge partiriez vous à la retraite?", trois pour cent répondent moins de 50 ans, 38% entre 50 et 55 ans, 38% également entre 56 et 60 ans, 12% entre 61 et 65 ans, et trois pour cent plus de 65 ans. Six pour cent des personnes interrogées ne se prononcent pas. - Sondage réalisé par téléphone le 7 juin auprès d'un échantillon national représentatif de 961 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas.

De vrais masochistes je vous dis, ces français. il s'éclatent tant au travail qu'autant de bonheur leur devient indécent et qu'ils préfèreraient ainsi s'infliger de manière précoce les affres de la retraite!

Au fait, pour terminer et en passant, regardez bien comment on fait pour présenter de manière tendancieuse un résultat de sondage qui dérange un peu l'hypothèse de base. Comparez le titre et le contenu de l'article: en fait il ressort que pour près de 8 français sur dix, l'âge idéal pour partir à la retraite est entre 50 et 60 ans, et pour 4 sur dix entre 50 et 55 ans!!!! Maintenant relisez, et vous verrez comment un titre peut vous mener grossièrement en bateau...

D'ailleurs, hier soir, dans France Europe Express sur France 3, qui a passé conjointement commande de ce sondage pour son émission consacrée à l'emploi des seniors, la présentation des résultats fut tout aussi maquillée (et je les attendais au tournant): un écran montra les deux catégories ensemble (50-55 et 56-60 ans) avec un seul chiffre à coté en gros: 38%! Et le commentaire fut d'une subtilité coupable: "38% des français préfèreraient partir dans l'une OU l'autre de ces deux tranches d'âge"! OU et non ET, c'est fin et faut saisir en 20 secondes! Mais que 38% des sondés déclarent vouloir partir entre 50-55 ans, et 80% entre 50 et 60 ans, ça faisait un peu désordre dans une émission visant à faire de la pédagogie libérale à destination des masses...

Courage Laurence, t'as du taf pour l'avenir: maintenir la pression coûte que coûte en dépit de vents un peu contraires. Le NAIRU et la précarité forcée t'y aideront il est vrai...

Guillaume de Baskerville

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